Lionel Tardy

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« Silence vaut accord » : où est la révolution annoncée ? par Lionel Tardy

Annoncée par le Président de la République en mai 2013, l’instauration du principe « le silence de l’administration vaut décision implicite d’acceptation » est une mesure de simplification attendue et prometteuse. La réalité de son application est pourtant décevante, comme l’a constaté Lionel TARDY, député de la Haute-Savoie, rapporteur pour avis des crédits à destination des entreprises dans le budget 2016.


Quels enseignements tirez-vous de l’application du principe du « silence vaut accord », dans votre rapport budgétaire ?

Le constat est net : il y a tellement d’exceptions, que ce qui devait être une règle… est en réalité une exception ! Sur 3 600 procédures potentiellement concernées, seul un tiers (soit 1 200) obéissent au principe. Avant 2013, il y en avait déjà 400. L’extension n’a donc été que limitée. Et encore : sur ces 1 200 procédures entrant dans le champ de la réforme, 470 le sont au bout d’un délai supérieur à deux mois.
Il n’y a pas non plus d’harmonisation parmi les exceptions : les décisions implicites de rejet peuvent intervenir au bout de trois, quatre, cinq, six, huit, neuf ou douze mois… voire 345 jours, selon les cas. Dans ce maquis, les entreprises ont forcément du mal à s’y retrouver. Il existe bien une liste sur le site Légifrance, mais elle est longue de 113 pages, issue d’une quarantaine de décret, écrite en petits caractères et sur deux colonnes, et le secrétaire général du gouvernement a pris soin de préciser qu’elle n’avait pas de valeur juridique.


Comment en est-on arrivé à cette situation ?

Je dirais que cette idée a été victime d’une tradition bien française, au sens négatif du terme. C’est une bonne idée, intellectuellement séduisante et porteuse de bouleversements positifs pour les entreprises et les particuliers dans leurs démarches. Mais tout est dans l’application, et il y a fort à parier que l’administration a su mettre des freins là où la réduction des délais la dérangeait. Le législateur a sans doute sa part de responsabilité : les possibilités de déroger à la règle sont trop larges (cinq critères). Mais des décrets peuvent aussi écarter l’application du principe pour des motifs de « bonne administration »… avec une qualification aussi floue, inutile de dire que les Ministres ne s’en sont pas privés. Résultat : la volonté de départ est dénaturée.
Et puis ces montagnes qui accouchent d’une souris, c’est aussi la marque de fabrique du quinquennat Hollande – il n’y a qu’à voir la loi Travail. Le parcours du principe du « silence vaut accord » est à l’image du « choc de simplification » : décevant, et vidé de sa substance.


En quoi les entreprises se trouvent pénalisées ?

Les réponses de l’administration conditionnent des projets qui peuvent être importants, par exemple des extensions d’activité. Or, pour chaque demande adressée, un chef d’entreprise doit rechercher si celle-ci fait l’objet d’une décision implicite de rejet ou d’acceptation, si le délai de deux mois lui est applicable, et à défaut, quel délai doit s’appliquer. De ce point de vue, la réforme a surtout renforcé l’opacité et la lourdeur des démarches pour les entreprises. A cela s’ajoutent des formalités administratives qui demeurent complexes : le délai ne court qu’à compter de la réception des pièces par l’administration compétente ; une erreur de direction peut donc faire perdre un temps non négligeable. En principe, un accusé de réception doit être envoyé systématiquement, permettant ainsi de savoir précisément la date de démarrage du délai. Dans les faits, c’est pourtant loin d’être le cas.            
Même problème concernant la sécurité juridique : pour le financement d’un projet industriel, il est évident que les investisseurs et les banques ne s’appuieront pas sur une autorisation sans trace écrite. Or, c’est l’administré qui doit faire la demande d’attestation en cas d’accord implicite de l’administration… attestation qui lui parviendra sous des délais imprévisibles. Ce décalage et cet allongement des délais est problématique pour les décisions d’investissements les plus lourdes, mais aussi pour des décisions plus « mineures », car en matière de simplification, toutes les avancées sont bonnes à prendre.  
Au final, la conclusion reste que l’administration n’avance pas au même rythme que les entreprises. Mais ce n’est pas une fatalité. Certaines personnes que j’ai auditionnées ont mêmeestimé qu’il aurait peut-être été préférable d’en rester au principe du « silence vaut rejet », qui avait au moins le mérite de la clarté. Quand on arrive à ce type de réflexion, c’est bien que la réforme a, d’une certaine manière, manqué son but.      
 

Comment faire bouger les choses ?

Lors de la présentation de mon rapport, le ministre de l’Economie Emmanuel Macron m’a expliqué que ma vision était biaisée et m’a demandé de lui lister des mesures qui mériteraient de sortir du champ des exceptions. Je lui ai cité le raccordement des entreprises au réseau public de collecte et d’assainissement, l’acquisition de la mention « collection » sur les véhicules d’occasion, l’autorisation d’importation d’eaux minérales naturelles ou encore la délivrance de la carte permettant l’exercice d’une activité commerciale ou artisanale ambulante.         
Mais si l’on commence à prendre les 2 400 exceptions une par une, on ne s’en sortira pas. Il faut modifier la loi pour revenir à son esprit initial.
Je termine actuellement la rédaction d’une proposition de loi, qui reprend certaines idées avancées par les chefs d’entreprises que j’ai rencontrés. L’objectif premier doit être la réduction du nombre d’exceptions : le motif de dérogation dit de « bonne administration » devra être supprimé, car il est à la source de bon nombre d’entre elles ; la liste des exceptions devra être révisée annuellement pour être réduite ; on pourrait aussi introduire une règle « one in, one out » – pour toute nouvelle procédure créée entrant dans le champ des exceptions, une autre procédure existante devra basculer dans le droit commun. Ainsi, les nouvelles décisions ne viendront pas alimenter le stock d’exceptions existantes.            
Les entreprises doivent également pouvoir réclamer une explication écrite lorsqu’une décision a fait l’objet d’un rejet implicite, afin de ne pas entraver les chances d’aboutissement d’un projet, par exemple. Je proposerai aussi de sécuriser juridiquement la question de la preuve. Parallèlement, il serait judicieux d’indiquer en tête de page, sur les formulaires de demande, le régime auquel appartient la demande concernée. Le gouvernement doit aussi mettre en place un service d’information sur Internet, plus lisible que les longues listes actuelles, ainsi que des indicateurs de performance pour mesurer la réduction des délais et agir sur les points de blocage. Seule une bonne dose de volonté politique permettra de sortir de cette situation ubuesque, et de redonner du sens à ce principe.

GEEA vient de publier son livre blanc !

Lu dans les Echos : La loi El Khomri, symbole de tous les renoncements

Lu dans les Echos : La loi El Khomri, symbole de tous les renoncements

90 parlementaires, membres de GEEA ont publié cette tribune dans les Echos pour dénoncer le projet de loi El Khomri.

Tribune dans le Figaro : Révolution numérique n'ayons pas peur !

Tribune dans Le Figaro : Pour vaincre le chômage des jeunes, misons sur l'entreprise !

Des chocs et des pactes… et après ? par Lionel Tardy

Après le « choc de simplification », voici le « pacte de responsabilité ». Au-delà de ces éléments de langage, Lionel Tardy, député de la Haute-Savoie et chef d’entreprise, revient sur les annonces de François Hollande. 

Que retenez-vous de l’annonce du « pacte de responsabilité » par le Président de la République ?

Sur la forme, voilà encore un beau terme inventé par les communicants de l’Elysée. Depuis le début du quinquennat, on ne compte plus les « choc » et les « pactes » annoncés à grand renfort de conférences de presse. Il y a à peine un an, c’était le « choc de simplification ». Mais lorsqu’on fait le bilan de ce genre d’effets de manches quelques mois plus tard, on se rend compte qu’il ne reste plus grand-chose à part des formules creuses. Sur le fond, j’attends de voir comment tout cela sera mis en pratique. Car pour une fois, François Hollande a l’air de vouloir aller dans le sens des entrepreneurs… mieux vaut tard que jamais !


Justement, quel bilan tirez-vous du « choc de simplification » ?

Tout le monde sait qu’une simplification est nécessaire à tous les étages. J’étais d’ailleurs plutôt enthousiaste quand il a fait cette annonce. Depuis, je me demande où sont passées ces bonnes intentions. Pas un seul projet de loi que nous examinons à l’Assemblée nationale depuis plus d’un an ne mérite d’être qualifié de texte de simplification. Que ce soit pour ceux relatifs à la consommation ou au logement, récemment, des piles de documents administratifs viennent s’ajouter aux obligations déjà existantes. Les vieux réflexes sont toujours présents. La preuve la plus extraordinaire a été donnée par le Président lui-même lors de sa conférence de presse : au bout de cinq minutes de discours, il nous annonçait déjà la création d’un « observatoire » [observatoire des contreparties] et d’un « conseil stratégique » [conseil stratégique de la dépense publique] ! La création de comités Théodule va totalement à l’encontre du « choc de simplification », et pourtant le gouvernement se complait dans ces commissions et autres instances de réflexion qui ont plutôt tendance à pousser à l’inaction.  


Qu’attendez-vous de la mise en application de ces mesures ?

Le « pacte de responsabilité », on l’aura compris, c’est tout simplement la suppression des cotisations familiales pour les entreprises à l’horizon 2017. Si l’on veut toucher à la fiscalité directe des entreprises, il ne faut surtout pas reproduire l’erreur du crédit d’impôt compétitivité-emploi (CICE), que beaucoup de chefs d’entreprises, notamment dans les PME, rechignent à utiliser car il s’agit d’une véritable usine à gaz. Au contraire, il faut que cette baisse des charges profite à tout le monde, sans distinction, et surtout qu’elle soit accessible. Il faut que le mécanisme soit simple à utiliser et à mettre en pratique, sans quoi évidemment les chefs d’entreprises ne l’utiliseront pas. Certains à gauche crient au scandale et demandent des contreparties… Autrement dit, le grand risque est que l’on se retrouve avec des conditions, des tonnes de documents à remplir, des démarches interminables qui finiront, un peu comme d’habitude par décourager et à faire perdre au mécanisme tout le côté incitatif et bénéfique qu’il avait en théorie. C’est pourtant très clair : il faut cette fois le moins de contreparties possibles, voire aucune, car si c’est pour rigidifier le système, autant ne rien faire du tout. Veut-on aider le tissu entrepreneurial ou faire plaisir aux socialistes anti-entreprises ? C’est la vraie question qu’il faut se poser.

 

Croyez-vous au financement de ce pacte ?

J’aimerais y croire, mais il faudrait que le gouvernement recherche en contrepartie 30 milliards d’euros à économiser d’ici 2017. De ce côté-là, on manque cruellement d’information ; c’est pourtant une question cruciale. Ces 30 milliards, il va falloir les trouver et tailler dans la dépense publique. A part une baisse des dépenses, on voit en effet mal quelle autre possibilité de financement il pourrait rester pour ce dispositif. Or, réduire les dépenses, c’est justement ce que le gouvernement s’est toujours refusé à faire… je n’ose même pas imaginer les cris d’orfraie que vont lancer certains membres de la majorité quand il va falloir toucher aux services publics. 


Etes-vous prêt à soutenir ces mesures ?

Encore une fois, si le gouvernement a enfin compris que ce sont les entreprises qui créent de l’emploi, et qu’elles croulent littéralement sous les charges fiscales et administratives, nous n’allons pas nous en plaindre. J’ai simplement envie de dire à François Hollande : chiche ! Au vu de ce qui s’est passé sur le choc de simplification, de ce qu’il en reste, j’aurais tendance à être sceptique. Mais le débat parlementaire viendra et à ce moment-là, on pourra réellement voir s’il a su transformer l’essai. Je partage le principe de ces mesures – qui ne le partage pas ? – mais tout va résider dans leur application. C’est pourquoi, si j’approuve l’esprit de ces annonces, je pense qu’il faut rester prudent et surtout vigilant dans la forme qu’elles prendront. A gauche, certains syndicats et élus vont faire pression pour amenuiser le dispositif ou l’assommer à coups de « contreparties ». Ceux qui voient en lui un « cadeau au Medef » sont tout simplement désolants. La réalité, c’est qu’à chaque début d’année les entrepreneurs voient des taxes s’abattre sur ceux, et que beaucoup ne sont pas sûrs que leur trésorerie pourra supporter ces augmentations.

 


Pensez-vous qu’il s’agit d’un tournant dans la politique gouvernementale ?

J’aimerais beaucoup, mais il en a fallu du temps pour réaliser que la croissance etl’emploi n’allaient pas revenir comme par enchantement si l’on continuait d’accabler les entreprises. Peut-être que si quelques membres du gouvernement étaient issus du monde de l’entreprise, le déclic aurait été plus rapide, mais c’est un autre débat. Rappelons-nous simplement du nombre de mesures invraisemblables que nous avons vu défilé avant d’en arriver là, et dont on se demande encore comment elles ont pu être pensées. Lors du projet de loi de finances pour 2012, c’était le dispositif de donation-cession, une véritable atteinte au tissu entrepreneurial français. En décembre dernier, nous avons échappé de peu à une taxe sur l’excédent brut d’exploitation (EBE), autrement dit la capacité d’investissement des entreprises ! Il y en eu a bien d’autres, et je serais ravi que la spirale s’arrête ici. Pour cela, rien ne vaudra une vigilance totale sur l’application concrète de ce « pacte ». Une fois la valse des belles formules terminées, nous verrons alors ce qu’il reste pour les entreprises françaises.

 

 

La question écrite de GEEA sur le relèvement des seuils sociaux et fiscaux

Afin de concrétiser la proposition n°11 du livre blanc, GEEA a proposé à ses parlementaires membres de dépose une question écrite auprès du ministre du travail. L'objectif : relever les seuils sociaux et fiscaux de 10 à 20 et de 50 à 100 salariés. 

"Les comparaisons internationales de démographie d'entreprises montrent, qu'en France, l'augmentation des effectifs d'une entreprise et donc le franchissement de certains seuils, accroît très significativement le coût social pour l'employeur tout en y additionnant de nouvelles réglementations. En France, 7 ans après sa création, une entreprise emploie en moyenne 20 salariés, contre 80 en Grande-Bretagne. L'effectif moyen de toutes les entreprises françaises à leur création est de 2,7 personnes contre 6,6 aux États-unis ou encore 4,5 en Allemagne. Véritable frein psychologique à l'embauche, ces seuils sont perçus par l'employeur comme un facteur de complexification administrative et de hausse des cotisations. À titre d'exemple, le franchissement de la barre des 50 salariés a pour conséquence l'application de 34 législations et réglementations supplémentaires pour un coût représentant 4 % de la masse salariale. Il souhaite savoir si le Gouvernement prendra en compte la proposition de Génération entreprise-entrepreneurs associés, composée 120 de parlementaires, demandant le relèvement des seuils sociaux de 10 à 20 et de 50 à 100 salariés. Une telle mesure atténuera la « peur d'embaucher ». Son impact sur l'emploi serait important : 22 500 entreprises embaucheraient des salariés supplémentaires sans ces seuils sociaux. En 2012, l'INSEE et l'IFRAP évaluaient la perte d'emplois générés par les seuils sociaux entre 70 000 et 140 000 emplois."

Tribune dans Valeurs Actuelles : Monsieur Hollande, ouvrez les yeux !

– Valeurs Actuelles – TRIBUNE, juillet 2013 –

Monsieur Hollande, ouvrez les yeux !

Alors que la France est en récession, le gouvernement n’a d’autre réponse que d’augmenter les prélèvements sur les entreprises.

Alors que nous sommes en pleine crise économique, que les marges brutes des entreprises françaises sont les plus basses d’Europe, que les plans sociaux s’accumulent, qu’on dénombre 1 328 chômeurs supplémentaires chaque jour, nous avons quotidiennement de nouvelles preuves de l’amateurisme du président de la République et de son gouvernement.

François Hollande veut se convaincre que le délai de grâce de deux ans pour revenir à un déficit de 3 % accordé par la Commission européenne est une bonne nouvelle. Mais c’est reculer pour mieux sauter ! L’austérité qui sera menée sera peut-être un peu moins brutale car étalée dans le temps, mais elle restera forte (avec un ajustement annuel de 1,3 point de PIB de 2012 à 2015) et très douloureuse car il n’y a aucune chance pour que le chômage baisse avant 2015.

Bercy a déposé il y a quelques jours au Parlement son projet de loi de règlement du budget de l’État au titre de l’année 2012, aux fins d’approbation des comptes. Alors que la France est entrée en récession, le gouvernement s’autocongratule en affirmant que « la France […]a bien résisté, ne subissant pas de repli marqué de son activité à l’inverse de ses partenaires de la zone euro ». Pourtant, en 2012, tous les secteurs d’activité sont marqués par la dégradation de l’activité.

À l’été 2012, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a augmenté brutalement le forfait social en le faisant passer de 8 à 20 %. S’il avait voulu déstabiliser le climat social des PME et des grandes entreprises, il ne s’y serait pas pris autrement. Cette décision a notamment abouti pour de nombreux salariés à la fin de l’abondement d’employeur aux plans d’épargne d’entreprise (PEE) et plans d’épargne pour la retraite collectifs (Perco). Sans oublier la perte de revenus non négligeable pour plusieurs millions de salariés à la suite de la suppression des heures supplémentaires défiscalisées.

En additionnant les mesures du premier budget rectificatif de 2012 de la nouvelle majorité (relèvement du forfait social – la fiscalité sur l’intéressement et la participation -, taxe sur les dividendes) aux mesures du budget 2013 et du financement de la Sécurité sociale, on atteint des hausses de prélèvements de 16 milliards sur les entreprises. À cette somme, il faut ajouter les 3 milliards de prélèvement écologique que le gouvernement a prévu pour financer son crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Au total, la hausse des prélèvements sur les entreprises atteint donc 19 milliards d’euros pour un crédit d’impôt de 20 milliards qualifié de « révolution copernicienne » par M.Moscovici ! Le gouvernement n’a fait que donner d’une main ce qu’il a repris de l’autre. Tout cela pour aboutir à l’attribution de 4 324 CICE pour 2,5 millions d’entreprises asphyxiées !

Pour sortir de la crise, le gouvernement doit diminuer significativement les dépenses publiques, baisser les cotisations patronales et salariales, exonérer de charges sociales pendant trois ans les TPE qui embauchent en CDI un chômeur, opter pour une flexisécurité plus opérante.

C’est ainsi que nous gagnerons en compétitivité, que nous aurons une chance de réindustrialiser la France et de créer de l’emploi.

Le coût de la méconnaissance de l'entreprise par Lionel Tardy

Lionel Tardy, Chef d’entreprise et Député de Haute Savoie s’inquiète des conséquences graves de la méconnaissance de notre tissu d’entreprises familiales et des conditions de leur transmission.


 Jusqu’où va la méconnaissance des entreprises du gouvernement actuel? 


Le gouvernement et la majorité socialiste ne connaissent rien au monde de l’entreprise, et même au-delà de ce que l’on pouvait imaginer. Les différents projets de loi de Finances débattus en cette fin d’année en sont la preuve éclatante, avec une série de dispositions absolument catastrophique. Les exemples abondent, mais l’un d’entre eux m’apparaît exemplaire, tellement il est caricatural.


L’article 14 du projet de loi de finances rectificatif de décembre 2012 entend lutter contre ce que le gouvernement considère comme un abus, le dispositif de donation-cession. Quand une donation de titre est faite, elle permet aux donateurs de transmettre sans vendre, donc sans payer la taxe sur les plus-values. Elle permet aussi aux donataires de revendre les titres, sans avoir à payer de taxe sur la plus-value, puisque le prix de vente est proche du prix d’acquisition, qui est celui inscrit dans la donation. 

Pour le fisc, c’est visiblement intolérable. La loi a donc été modifiée, pour recalculer le prix d’acquisition en cas de revente par le donataire, moins de 18 mois avant la donation. La plus-value ne sera plus la différence entre le prix de vente et le prix inscrit dans la donation, mais celle entre le prix de vente, et le prix auquel le donateur les aura acquis…

Pouvez-vous prendre un exemple ? 

Si on prend l’exemple du chef d’entreprise qui a créé son entreprise, s’il fait donation des titres à ses enfants, et que ceux-ci veulent les revendre avant 18 mois, la plus-value atteint 100% de la valeur du titre… Comment vont faire les dirigeants d’entreprises familiales, quand ils ont plusieurs enfants, et que le principal actif est l’entreprise? Souvent, quand il y a un des enfants qui prend la suite, une donation est faite, avec une part égale pour chaque enfant, celui qui reprend l’entreprise rachetant immédiatement les parts de ses frères et sœurs. 

Avec ce nouveau dispositif fiscal, c’est terminé ! 

En cas de donation, les enfants qui reçoivent des parts de l’entreprise vont devoir attendre 18 mois pour vendre leurs parts, sinon, leur héritage sera quasiment confisqué. Ils ne toucheront leur argent qu’au bout de 18 mois, pendant lesquels ils auront à payer les droits de donation, car le fisc n’attendra pas 18 mois. Pendant cette même période, ceux qui n’auront pas de rôle dirigeant dans l’entreprise seront soumis à l’ISF, leurs parts n’étant pas considérées comme un patrimoine professionnel.

Quelles conséquences cela aura-t-il pour la transmission des entreprises familiales ? 

Pour mettre fin à un réel abus, on casse au passage le mécanisme juridique de transmission familiale des PME. Je vous laisse imaginer les problèmes de gouvernance des entreprises concernées, qui vont se retrouver considérablement fragilisées. 

Et dans quelques années, on constatera que les dirigeants des PME familiales, au moment de prendre leur retraite, préfèrent soit vendre, à des acheteurs qui seront souvent étrangers, soit recourir à des montages acrobatiques pour transmettre le fruit du travail d’une vie à leurs enfants. Je ne serais pas surpris qu’à ce moment là, si les socialistes sont encore au pouvoir, ils ne fustigent ces chefs d’entreprises, accusés soit de manquer de patriotisme économique, soit d’être des fraudeurs invétérés.

Tribune dans le Monde : Arrêtons d'accabler nos entrepreneurs !