Isabelle Debre

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La relance de l’économie passe par le rétablissement de la confiance par Isabelle Debré

Isabelle Debré, avant toute chose, voulez-vous nous donner votre appréciation sur la situation dans laquelle se trouve l’économie française ?

La croissance de l’économie française est toujours aussi faible, voire nulle, laissant la France à la traîne des économies européennes. Et malgré la baisse de l’euro et celle du prix du pétrole, nous ne réussissons pas à redresser la balance de notre commerce extérieur en dépit de quelques brillants succès, dans l’aéronautique par exemple.  Pourquoi ?

A mes yeux, un mot résume particulièrement les raisons de cet échec : la confiance.

Car la confiance des chefs d’entreprises génère les investissements quand la confiance des consommateurs génère la consommation.

 

 

Voyez-vous une raison majeure à l’atonie de l’économie française ?

Notre pays souffre de deux maux qui détruisent la confiance : tout d’abord des changements incessants dans la législation et dans les règlementations, qu’elles soient sociales, fiscales, environnementales etc…

Comment les chefs d’entreprises peuvent-ils évaluer la rentabilité d’un projet, dans la durée d’un amortissement de 10 ou de 15 ans, alors que dans ce laps de temps, toutes les règles régissant leur environnement auront été modifiées à plusieurs reprises ?

Comment un citoyen prendra-t-il le risque de dépenser ou d’investir alors qu’il ignore la façon dont il sera taxé, l’imagination de ceux qui nous gouvernent étant sans limite dans ce domaine ?

 

Ensuite, un sentiment d’injustice : un Etat en surpoids qui se nourrit au détriment des créateurs de richesse.

Et nous remarquerons que le nombre trop élevé de fonctionnaires n’a pas qu’un impact en coût direct : si les fonctionnaires, le plus souvent dévoués au service de l’Etat, ne sont pas en cause, ils ont tendance à créer chaque jour des contraintes nouvelles pour les citoyens, générant ainsi de nouveaux coûts indirects pour la nation.

Si cette absence de confiance a pour conséquence la frilosité des investisseurs comme des consommateurs, elle met aussi en lumière l’un de nos travers les plus paralysants : le corporatisme et le refus des réformes nécessaires. Ainsi, beaucoup sont favorables aux réformes à condition qu’elles ne les concernent pas directement !

Ajoutons à cela que l’Etat est actuellement dirigé par une famille politique ayant une vision archaïque du monde dans lequel nous vivons, des entreprises et des rapports sociaux dans celles-ci. Nous voyons bien que les difficultés du gouvernement de Manuel Valls tiennent en grande partie au fait que sa volonté réformiste, que je pense sincère, est régulièrement mise à mal par un courant marxiste encore puissant au sein du parti socialiste. Cela oblige le gouvernement à louvoyer sans cesse et donne l’impression qu’il ne maintient pas le cap lorsqu’il s’aventure dans la réforme.

En outre, pour amadouer cette majorité turbulente et capricieuse, il est conduit à faire des concessions excessives. Plusieurs exemples : le compte de prévention de la pénibilité, qui est un non-sens d’un point de vue économique, les régimes de retraites réformés a minima, ou encore le statu quo sur les 35 heures, auxquelles il convient de toute évidence de renoncer.

Autre exemple : le débat sur le travail le dimanche, qui n’a permis qu’une faible avancée dans ce domaine alors qu’il touche à un point fondamental, la liberté de choix des consommateurs et des travailleurs. S’il convient bien sûr de définir des règles justes, j’ai entendu certains parlementaires discourir sur la façon dont ils entendaient que les Français occupent leur dimanche. Mais de quoi se mêlent-ils ?

Pensez-vous possible une autre politique économique ?

Bien entendu, il est tout à fait possible de proposer une autre vision de l’économie. Il faut, en premier lieu, mieux définir les domaines d’intervention de l’Etat. Trop d’Etat tue l’Etat. Ses missions doivent être recentrées sur ses fonctions régaliennes : l’éducation, la justice, l’ordre public, la défense. Et la suppression des dépenses inutiles doit aussi servir à doter les services de l’Etat des moyens nécessaires au bon accomplissement de leur mission. Par exemple, il convient d’augmenter significativement le budget du Ministère de la Justice, d’abord pour que la justice soit rendue dans des conditions et délais acceptables, mais aussi pour fluidifier la vie des affaires : croyez-vous que la perspective de procès longs et onéreux ne freine pas la prise de décision des chefs d’entreprise ?

La même démarche doit être effectuée pour les collectivités territoriales qui ont largement augmenté leurs dépenses de personnel ces dernières années alourdissant les impositions pesant non seulement sur les ménages mais également sur les entreprises.

Enfin, il n’y a pas que le coût direct de l’Etat qu’il convient de passer à paille de fer : combien d’autorités administratives indépendantes, d’agences, de comités techniques, d’organismes divers, de pans entiers de l’économie, sont financés par des taxes obligatoires qui, s’ajoutant les unes aux autres, représentent des sommes considérables ponctionnées sur les entreprises ou les ménages, pour un résultat que personne ne mesure ?

Le réalisme doit prévaloir ; la mondialisation de l’économie impose de revoir des schémas d’action politique élaborés il y a plusieurs décennies. Tant que nous n’aurons pas réduit le poids de nos dépenses publiques dans l’économie, nous ne pourrons lutter à armes égales avec nos principaux partenaires européens que sont l’Allemagne et le Royaume-Uni.

Et la réforme de notre fiscalité doit donc être mise en œuvre d’urgence, sans tabou. Un exemplepourtant symbolique : l’ISF, impôt nuisible, injuste, indiscret que nous aurions dû supprimer depuis longtemps.

Je veux être claire : je ne prêche pas pour la mise en œuvre d’une politique ultra-libérale qui réduirait l’Etat à un rôle d’observateur de la vie économique et sociale. L’Etat a un rôle évident de garant de la cohésion sociale et de premier rempart contre la pauvreté et les exclusions.

Toute politique économique digne de ce nom, ancrée dans la réalité des échanges du 21ème siècle, doit contenir une réduction drastique des charges publiques et des impôts pesant à la fois sur les entreprises et sur les ménages. Ce faisant, nous redonnons de l’oxygène aux acteurs économiques et aux ménages tout en maintenant un niveau de service public acceptable et de qualité.

Redonner de l’oxygène, c’est permettre aux entreprises d’investir, de créer, de recruter librement et de se séparer sans contrainte excessive d’une partie de son personnel lors d’un retournement de conjoncture. De cette manière, nous sortons le marché du travail de sa paralysie.

Redonner de l’oxygène, c’est également cesser de légiférer à outrance. Les lois sont trop bavardes et à certains égards inapplicables car votées par des parlementaires méconnaissant, pour un grand nombre d’entre eux, la vie de l’entreprise. Quand une loi nécessite autant de décrets d’application que la loi Duflot sur le logement, nous ne pouvons que nous interroger sur la pertinence même de la loi.

Redonner de l’oxygène, c’est enfin tailler sévèrement dans notre législation, complexe et surtout changeante au gré des majorités. Il nous faudrait nous entendre sur ce qui est strictement nécessaire pour assurer le bon fonctionnement de l’économie.

Redonner de l’oxygène, de la confiance, c’est surtout avoir l’obsession de la liberté. Or, depuis des années, nous ne cessons d’entraver la liberté de nos concitoyens et des acteurs économiques.

Isabelle Debré, existe-t-il selon vous un mode d’organisation du dialogue social susceptible de faire consensus ?

OUI, ce mode d’organisation s’appelle la Participation. Qu’est-ce que la Participation ? C’est une troisième voie, voulue par le Général de Gaulle en 1957 qui consiste à rassembler tous les acteurs de l’entreprise autour d’objectifs communément partagés.

Le Général de Gaulle a su briser les murs qui séparaient salariés et entrepreneurs et inciter chacun à dialoguer au service de la réussite d’un projet collectif : l’entreprise.

L’ambition du Général de Gaulle est parfaitement adaptée à la réalité du monde économique d’aujourd’hui où les conflits ne mènent à rien si ce n’est à l’échec collectif.

Il faut donc que l’essentiel du dialogue social se déroule au sein de l’entreprise et non dans les cabinets ministériels qui doivent, non pas diriger ce dialogue jusqu’à la coercition, mais le favoriser et respecter les décisions qui en découlent. Je considère en effet comme primordial de laisser aux acteurs de l’entreprise, par la voie d’un accord d’entreprise, la liberté de décider du temps de travail, de la politique salariale, de l’ouverture dominicale également et de ses conditions dans le champ d’activité du commerce non alimentaire…

La Participation est une idée à laquelle je crois profondément et qui mérite d’être plus largement valorisée dans le cadre d’une refonte du code du travail, à côté de laquelle nous ne pourrons pas passer si nous revenons aux affaires.

Mais pensez-vous réellement que ce concept séduisant soit transposable dans l’ensemble des entreprises ?

Vous faites certainement référence aux petites et moyennes entreprises au sein desquelles les mécanismes de partage des résultats sont souvent inexistants. Certes, la diffusion de la Participation dans les TPE est un vrai challenge mais je crois qu’il est possible de parvenir à un résultat significatif pour peu que nous mettions en place les aides fiscales et sociales adéquates. Je ne connais guère d’entreprises ayant mis en place la Participation et l’Intéressement qui fassent machine arrière. Ce qui prouve bien que l’une comme l’autre agissent comme de puissants facteurs de réussite et de cohésion sociale dans l’entreprise.

Dans le même esprit, je voudrais aussi souligner un vrai succès concernant l’épargne salariale, celui du PERCO, dispositif d’épargne de long terme investi dans des supports plus ou moins dynamiques, qui permet aux salariés de se constituer un capital intéressant dans la perspective de la retraite. Il nous faut continuer à développer les Perco dont nul ne doute de l’utilité à l’heure où les retraites de base et complémentaires sont mises à mal par l’apathie du gouvernement.

 

En conclusion, je dirai que notre avenir passe par un accroissement de nos libertés individuelles, pour les citoyens comme pour les entreprises.

Je suis persuadée qu’on ne se trompe jamais lorsqu’on se bat pour la liberté. Cela ne signifie pas l’absence de règles : c’est le rôle éminent de l’Etat de les définir et de se donner les moyens de sanctionner ceux qui les transgressent.

Mais notre monde a changé : global, immédiat, connecté, technologique. Si nous ne nous adaptons pas, nous déclinerons inexorablement.

Le courage d’entreprendre sur le plan politique comme sur le plan économique doit être la qualité majeure de ceux dont la tâche est de redonner confiance aux Français.