Gilles Carrez

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Tribune dans Le Figaro : Pour vaincre le chômage des jeunes, misons sur l'entreprise !

Le Grand témoin : Gilles Carrez

Député du Val de Marne depuis 1993, maire du Perreux sur Marne, rapporteur général du budget pendant de 2002 à 2012, vice-président du Comité des finances locales, aujourd’hui Président de la commission des finances à l’Assemblée Nationale.

Auteur de la fameuse loi éponyme, il ne s’est jamais intéressé aux querelles politiciennes et c’est en tant que l’un des meilleurs connaisseurs du budget de l’Etat et des finances publiques, reconnu à droite comme à gauche qu’il préside aujourd’hui la commission des Finances de l’Assemblée nationale.

Ce rôle stratégique lui donne une vision globale de l’état des comptes de la France et face au mal endémique des déficits son expérience et son analyse sont précieuses. 

 

Depuis 1974, la France n’a pas voté un budget en équilibre, la dette va atteindre 95,1% de la richesse nationale, la croissance a été quasi-nulle en 2013. Pourtant le Gouvernement, par la voix de Pierre Moscovici, ne cesse de répéter que les choses s’améliorent, a-t-il raison ?

En ce début d’année 2014, les inquiétudes sur l’état de l’économie française sont grandes. En effet, la stagnation de l’activité liée notamment à la réduction de l’investissement privé  (7 trimestres consécutifs de baisse ou de stagnation en 2013) et la hausse du chômage (le nombre total de demandeurs d’emploi a augmenté de 343 000 entre octobre 2012 et octobre 2013)sont deux réalités qui perdurent. La politique économique menée au cours des trois dernières années autour de la nécessaire réduction du déficit y a sans doute contribué, mais il faut relever que l’ajustement est bel et bien en cours. Arrêter ce dernier maintenant n’aurait pas de sens, car il ruinerait trois années d’efforts. En revanche, il apparaît certain que les modalités d’ajustement choisies jusqu’à maintenant (via le levier quasi-exclusif des prélèvements) ont atteint leurs limites, ce qui pose la question de la capacité à retrouver des marges de manœuvre effectives via une baisse des dépenses crédible et durable.

 

 

Vous êtes président de la commission des Finances publiques de l’Assemblée nationale depuis 2012, voici deux budgets que vous examinez, Bruxelles a qualifié le projet de budget 2014 de « responsable et prudent » ; la politique budgétaire menée actuellement est-elle à la hauteur des enjeux ?

Avec une dette publique qui devrait frôler les 100% du PIB fin 2015, la politique budgétaire menée par le Gouvernement doit être jugée à l’aune d’un seul critère : sa capacité à réduire les dépenses publiques. Or, qu’observe-t-on ? Les dépenses de l’Etat réellement exécutées en 2013 vont être supérieures de 2,3Mds€ à celles de 2012, et cela malgré  des économies sur les frais financiers (1,9Md€), sur les pensions (830M€) ainsi que des annulations massives de crédits d’investissement. Pire, le déficit public était prévu à 61,5 milliards d’euros et nous terminons l’année avec un déficit du budget de l’Etat de 75 milliards d’euros.

 

S’agissant des comptes sociaux, le déficit public va donc atteindre 4,2% voire 4,3% du PIB alors que le Gouvernement s’était initialement engagé à le ramener à 3% du PIB fin 2013.

Le besoin de financement public de 2013 se sera donc élevé à près de 180 milliards d’euros. Avec l’Italie, c’est le montant le plus important de la zone euro.

Concernant 2014, je crains que les mêmes causes ne produisent les mêmes effets.  Citons en particulier les OPEX (budgétées à 450 millions alors qu’elles dépasseront certainement le milliard d’euros), le maintien de l’indexation des prestations, en particulier des minimas sociaux, l’abrogation du jour de carence dans la fonction publique, la revalorisation de 10% du RSA socle, la création d’un RSA jeunes, le relèvement des plafonds de ressources pour accéder à la CMU-C et à l’aide à la complémentaire, etc.

Pour toutes ces raisons, il est probable que le déficit public atteigne 4% du PIB l’an prochain et non pas 3,6 % comme annoncé. 

 

 

A l’occasion de l’audience de rentrée de la Cour des comptes Didier Migaud, son président et votre prédécesseur à la tête de la commission à l’Assemblée, estime que le niveau de la dette est dangereux. Comment réellement réduire la dette de la France ?

Le simple bon sens devrait conduire les responsables publics à comprendre qu’au-delà d’un certain niveau, l’endettement devient insoutenable. Les frais financiers – c’est-à-dire les intérêts de la dette – constituent aujourd’hui le second poste de dépense du budget de l’Etat. Ce sont autant de marges de manœuvres en moins que nous pourrions consacrer aux investissements, à l’éducation, à la recherche et au développement de la compétitivité de nos entreprises.

Nous devons nous fixer des objectifs atteignables et réalistes, comme par exemple la stabilisation de notre endettement, ce qui suppose,d’une part, une reprise de l’activité économique en France en 2014 après deux années atones et, d’autre part, que l’ensemble des administrations publiques – et en particulier les administrations locales et sociales –contribuent à l’effort de redressement des comptes publics et modèrent significativement la progression de leurs dépenses.Cette étape est essentielle pour continuer à bénéficier des meilleurs taux sur les marchés financiers et échapper, à l’inverse, à un choc de taux dévastateur. 

 

La France va emprunter,à nouveau, de l’ordre de 180 milliards d’euros en 2014 pour financer son déficit budgétaire. L’année 2013 a été une « très bonne année » pour la dette française, comment expliquez à nos compatriotes cette capacité à s’endetter sans fin pour notre pays ?

Depuis la création de l’euro, nous assistons à un paradoxe peu propice à la prise de conscience de l’indispensable retour à l’équilibre budgétaire. En effet, les frais financiers que nous acquittons chaque année pour honorer les intérêts dus à nos créanciers sont d’une incroyable stabilité lors même que l’endettement public a explosé ces 12 dernières années. L’euro a, en quelque sorte, joué un rôle anesthésiant.

Toutefois, la remontée des taux d’intérêt s’avère aujourd’hui inéluctable sous l’effet de la reprise économique mondiale, du resserrement possible de la politique monétaire américaine et des aléas sur les tensions financières en zone euro. N’oublions pas que nous devons également nos excellentes conditions de financement au rôle d’optimum second joué par la France dans la zone euro, derrière l’Allemagne. De ce point de vue, si nous devons nous réjouir pour l’Espagne et le Portugal de leurs récentes émissions de dette à moyen et long terme, nous devons néanmoins nous questionner : ce statut de valeur refuge que constituent les obligations françaises a-t-il vocation à perdurer en l’absence de réformes structurelles ? Allons-nous continuer à trouver des financements alors même que nous ne menons aucun travail précis de maîtrise de la dépense publique dans l’ensemble de ses composantes (Etat, collectivités locales et Sécurité Sociale) ?

 

A l’occasion de ses vœux pour la nouvelle année le président de la République semble avoir pris conscience de la nécessité d’une certaine stabilité fiscale, en même temps son Premier ministre ne parle que de remise à plat de fiscalité cette année, alors qui doit-on croire ?

Depuis la fin de l’année dernière, l’opinion publique assiste, médusée, à des annonces contradictoires en matière de fiscalité. Cette cacophonie contribue à bloquer les investissements, les ventes et les embauches car les agents économiques (ménages et entreprises) sont paralysés par ces fluctuations. La fiscalité n’est pas affaire de discours grandiloquents et elle fait rarement bon ménage avec l’idéologie. Loin du « grand soir fiscal » rêvé par une partie de la gauche, il faut mettre les mains dans le moteur du Code Général des Impôts et dire clairement aux Français quels pourraient être, par exemple, les transferts massifs de fiscalité qui pourraient résulter d’une fusion de l’IR et de la CSG.Surtout, la fiscalité est perçue par la gauche comme une question en suspension, totalement déconnectée de sa vocation première : le financement des dépenses publiques. Fort heureusement, le Président de la République semble avoir entendu ce message et refroidi les ardeurs réformatrices de sa majorité. 

 

Le Président de la République a échoué dans sa quête d’inverser la courbe du chômage avant la fin de l’année 2013.On évoque aujourd’hui cette possibilité pour 2014 grâce aux emplois aidés. La solution du chômage passe-t-elle par la création d’emplois publics ?

A l’évidence, non. La solution à la question du chômage passe à la fois par la restauration des marges des entreprises françaises, le déverrouillage des freins aux investissements étrangers et par la libération des énergies aujourd’hui empêchées par les normes et les contraintes. Pour autant, la question des emplois aidés ne doit pas être écartée d’un revers de main, elle peut constituer une solution temporaire, en bas de cycle, pour éviter la paupérisation de populations déjà fragiles. 

 

Dans sa conférence de presse de début d’année, le Président parle d’économiser 50 milliards d’euros d’ici à 2017, cela paraît ambitieux mais est-ce crédible?

Je refuse de parler des « économies » en général, comme un objet politique non identifié. Cela n’a aucun sens. Il faut dire où, comment et combien. Quel pan de l’action publique sera supprimé ? Quelle politique sociale va être réformée ou simplement abandonnée ? Voilà les questions auxquelles il doit être répondu. Or, force est de constater que ce Gouvernement bénéficie d’une certaine complaisance de la part des médias qui jamais ne cherchent à savoir ce que recouvrent ces prétendues économies.

En réalité, le Gouvernement procède à des rabots uniformes dans les périmètres des actions ministérielles ou se contente d’annuler des crédits d’investissement pour pallier les insuffisances de budgets sociaux.

Le Premier Président de la Cour des Comptes Didier Migaud l’a rappelé : le principal gisement d’économie ce n’est pas la rationalisation du fonctionnement de l’Etat – dont les conséquences peuvent être désastreuses pour certaines administrations – mais les prestations sociales. De ce point de vue, je ne peux que regretter l’absence de propositions du Gouvernement en matière d’assurance-chômage au moment où la convention Unédic s’apprête à être renégociée. 

 

Le Crédit d’Impôt Compétitivité Emploi (CICE) était jusque-là le grand outil en faveur des entreprises, désormais le Président parle de supprimer les charges famille pour les entreprises, est-ce la fin du CICE ? Et si l’annonce est belle, vous parait-elle réaliste ?

Là encore, on mesure le poids de l’idéologie et des alternances dans les choix de politiques économiques. Quel a été le premier acte de ce Gouvernement ? La suppression de la TVA sociale, mesure éminemment simple consistant à basculer une partie des cotisations familiales acquittées par les entreprises sur la consommation et le patrimoine au motif que « son impact sur la compétitivité de l’économie discutable »[1]. Conscient néanmoins que le taux de marge des entreprises françaises est à son plus bas historique depuis les années 80 et prenant acte de la dégradation de notre commerce extérieur, le Gouvernement fait le choix à l’automne 2012 d’une mesure indirecte, le CICE. S’apercevant aujourd’hui des limites de ce modèle, il envisage aujourd’hui de revenir à un allègement direct de charges. Que de temps, d’énergie et d’emplois perdus pour ne pas faire comme la précédente majorité !

Aujourd’hui, la question qui se pose est celle du financement de cette mesure. Le Gouvernement annonce des économies. Mais où ? Quand ? Comment ? Personne ne le sait. Faute de disposer de marges de manœuvres significatives, les grands chantiers sont gagés sur d’hypothétiques baisses de dépenses. C’était le cas pour le CICE, pour les emplois d’avenir et pour les contrats de génération notamment. Rappelons qui si Nicolas Sarkozy s’était limité à un allègement de charges à hauteur de 13 milliards d’euros, c’était avant tout pour pouvoir en assurer le financement. Mais il est certainement plus facile de dépenser un argent dont on ne dispose pas. 


[1] Exposé des motifs art. 1er PLFR 2012 (2)