Les "vieux" à la campagne par Alain Houpert

Sous ce titre provocateur (clin d’œil aux « villes à la campagne » de l’humoriste Alphonse Allais), le Sénateur de la Côte-d’Or Alain Houpert plaide pour l’installation d’établissements destinés aux seniors dans les territoires ruraux, à rebours de ce que préconisent les Agences régionales de santé.

Véritables lieux de vie intergénérationnels, ils pourraient devenir des pôles d’attractivité générant autant du lien social que des activités économiques et proposent une voie inédite pour un aménagement intelligent du territoire.

Pourquoi cette idée d’installer des EHPAD à la campagne ?

Autrefois, quand un patient était affaibli, on l’envoyait respirer « le bon air » et les anciens vivaient leurs vieux jours en famille. Aujourd’hui dès qu’il perd son autonomie, on entasse le senior dans des fabriques à vieillir ou des mouroirs à étages. Cachée aux yeux de ceux qui ne sont pas des soignants, la finitude n’est plus un motif de réflexion sociale mais un résidu de conscience qui se réveille lorsqu’on y est personnellement confronté. Les maisons de retraite sont des projets immobiliers où le destin des occupants est relégué au dernier plan. Nous devrions retrouver ce chemin du « bon air » qui n’est autre que celui du bon sens !

Comment voyez-vous ces EHPAD nouvelle génération ?

Ces maisons de soins seraient le poumon de la commune, à condition de les envisager comme des structures multi-géné- rationnelles, en prise avec la cité. On n’y trouverait pas seulement des résidents et leur écosystème médical, mais des activi- tés liées : une pharmacie ouverte à tous, des logements à proximité pour le per- sonnel soignant, des services hôteliers pour accueillir les familles, une restauration collective, des ateliers et des jardins partagés. Ce serait une chance pour les résidents qui ne seraient plus coupés du monde au point de sombrer très vite dans la dépendance sévère ou une apathie mor- bide et une chance pour les citoyens dès le plus jeune âge : vieillir, mourir, reprendraient leur place dans le cycle de la vie.

Il semble plus rationnel d’ins-taller les EHPAD près des villes pour des questions de proximité avec les familles et les centres hospitaliers.

Je pense au contraire que la ruralité est une voie pour réduire les coûts de la dépendance. Au lieu de payer du foncier, on payera des soins. Débloquer les implantations d’EHPAD dans les zones rurales, auxquelles se refusent encore les Agences régionales de santé, serait une chance pour le patient et le territoire. Le patient bénéficiera de tarifs moins prohibitifs et donc d’un reste à charge plus abordable pour lui ou sa famille car le prix du foncier est fortement en cause dans le calcul des prix de journées. On me rétorquera que, du fait de l'éloignement, les visites risquent d'être moins nombreuses... À cet argument idéologique, pour ne pas dire technocratique, je réponds que les visites seront de meilleure qualité : dans un environne- ment qualitatif, les familles auront envie de passer plus de temps avec leurs proches.

Ce serait donc une nouvelle voiepour l’aménagement du territoire ?

Repenser la localisation territoriale de l’offre de soins est un enjeu de toute première importance pour les territoires, y compris en terme d’attractivité. L’implantation d’un EHPAD ou le maintien d’un hôpital permet aussi de localiser des emplois masculins et surtout féminins (majoritaires dans ce secteur), qui font tant défaut lorsque d’autres secteurs économiques veulent embaucher : il est de plus en plus difficile de recruter des cadres en zone rurale quand il n’y a pas de travail possible pour le conjoint.

Quel serait l’impact sur le secteur médical ?

Si on avait une vision holistique de la santé, on verrait qu’il ne s’agit pas seulement d’une richesse pour le patient et pour le pays, mais d’un remède à la crise que traverse la profession médicale. En obligeant les soignants à faire mieux avec toujours moins de moyens, on les a démobilisés. En outre, la « médecine de ville» encaisse la crise des professions libérales : assommés par les charges, les médecins n’ont plus la force de s’installer seuls. Ce stress n’existerait pas dans des établissements ruraux tels que je les appelle de mes vœux. Nombre de communes se sont battues pour avoir des villages vacances : le temps est venu de se battre pour des « villages de soins », économiquement viables et emplis de bienveillance et d’attention.