Débordements en marge des gilets jaunes : qui paie l'addition? par Damien Abad

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L’artisanat, première entreprise de France. ». La France compte 3,1 millions d’artisans. En novembre 2017, certains artisans et commerçants ont soutenu les Gilets jaunes, voir même étaient présents dans

les manifestations. Ils dénonçaient le poids des charges et la non- reconnaissance de leur travail. Mais dès que le mouvement a tourné à la violence, ils se sont retirés. Les manifestations à répétition du samedi ont d’ailleurs parfois pénalisé l'économie et leurs secteurs.

D'après des chiffres communiqués par le Gouvernement en février 2019, près de 5 000 entreprises ont fait des demandes de chômage partiel pour environ 72 000 salariés. L'administration a également reçu en avril jusqu’à 44 400 dossiers relatifs à des demandes de reports de cotisations. Certaines entreprises et établissements ont été confrontés entre « 30 % à 50 %, voire 70 % » de perte de chiffre d'affaires...

C’est pourquoi, en mai dernier, j’ai accepté de présider une mission d’information de l’Assemblée nationale qui avait pour objectif d’évaluer les coûts économiques, sociaux et budgétaires engendrés par les blocages, violences et dégradations commis en marge de certaines des manifestations.

Le rapport souhaitait recenser et évaluer les coûts entraînés par la crise au détriment des artisans et commerçants, à la fois en raison de dégâts directs et de pertes de chiffre d’affaires ; de l’attractivité de la France, pénalisant potentiellement les professionnels de l’hôtellerie, de la restau- ration et de la culture pour longtemps ; et des collectivités territoriales, qui doivent faire face au climat parfois insurrectionnel dans certains centres-villes malgré leurs budgets contraints.

Il était primordial pour moi et les deux rap- porteurs, Monsieur Lescure et Monsieur Cazeneuve, de pouvoir donner la parole aux commerçants et aux artisans, que l’on n’a pas pu entendre et qui ont été directe- ment touchés par les événements.

Notre mission a conduit ses investiga- tions dans un climat transpartisan et s’est attachée à dresser un bilan objectif des conséquences financières des violences en marges des « gilets jaunes ». Il est tout de même regrettable qu’aucun des sept membres du Gouvernement sollicités n’ait accepté d’être entendu.

Il faut garder à l’esprit que ces violences ont également eu un impact direct sur cer- tains cœurs de ville. Il a d’ailleurs fallu une grande réactivité de la part de nombre de collectivités, que l’on peut d’ailleurs saluer. Lors de notre déplacement dans la ville de Bordeaux, nous avons aussi auditionné différents acteurs économiques locaux ainsi le maire, M. Nicolas Florian, qui nous a fait un état des lieux de la situation et des dif- férentes mesures qu’il a dû prendre. Pour illustration, avec plus de trois millions d’euros de frais du fait des dégâts causés par les dégradations en marge du mouvement, le conseil municipal de Bordeaux a adopté le lundi 25 mars une exonération d’occupation du domaine public représentant environ 250 000 euros.

A l’issue de ces deux mois d’investigation, il faut tout d’abord constater qu’à l’échelle macroéconomique, l’impact des débordements en marge du mouvement reste modéré, dans la mesure où il s’inscrit dans un contexte globalement plus favorable qu’il y a quelques années.

En revanche, les coûts de la crise se révèlent considérables, pour ne pas dire ineffaçables, concernant certaines entreprises ou certaines municipalités prises isolément. Nombre de petits artisans et commerçants dont la tré- sorerie était déjà en grande fragilité ne pourront vraisemblablement pas se relever après les pertes d’exploitation qu’ils ont subies et le traumatisme qu’ils ont vécu, que d’éventuelles aides publiques ou privées ne sauront compenser. Nous avons entendu à plusieurs reprises par les commerçants et les artisans : « on ne rattrapera jamais ce qui est perdu ».

A noter également que les démarches de soutien aux acteurs économiques victimes ne sont encore qu’au milieu du chemin : malgré l’activation immédiate de solidarités locales par les communes, les chambres du commerce et de l’industrie et celles des métiers et de l’artisanat, le recours à ces aides semble relativement limité. Les principales raisons évoquées par les responsables patronaux auditionnés sont la complexité de la préparation des dossiers, l’incertitude entourant l’éligibilité aux fonds de soutien ou au concours des assurances et la faiblesse des montants en jeu. En outre, il existe une retenue dans les dépôts de dossiers des acteurs économiques, qui ont du mal à exposer leur fragilité auprès des banques et à chiffrer encore aujourd’hui les pertes subies. De nouveaux impacts pourraient être mis en lumière à la fin de l’année, lors de la remise des bilans comptables.

Enfin, nous avons pu constater qu’il existe une transformation des habitudes de consommation. Même si nous n’avons pas pu établir un lien direct avec l’augmentation des ventes en ligne, les commerçants ont remarqué une baisse de la consommation le samedi dans les centres-villes, avec un étalement dans la semaine et un report sur les magasins en périphérie. Force est de constater que les cœurs de ville doivent se réinventer pour être à nouveau attractifs.

Dans mon avant-propos, j’alerte sur plu- sieurs points :

• Toute mesure économique proposée ne sera jamais suffisante si l’Etat de droit n’est pas respecté. Assurer efficacement le maintien de l’ordre public, première prérogative de l’Etat, est le premier moyen d’assurer l’attractivité de nos commerces de centre-ville.

• On ne peut se contenter ni de mesures temporaires, ni de simples mesures de trésorerie face à un phénomène structurel. La baisse des charges est une nécessité pour les commerçants, ainsi que l’assouplissement d’un certain nombre de règles fiscales, administratives et juridiques qui contraignent les entreprises de leur création à leur liquidation.

• Les mesures annoncées ne ciblent pas non plus assez les jeunes entreprises et les TPE, qui sont particulièrement en difficulté après cette crise.

Pour conclure, cela fait un an, le 17 novembre 2020, que les « Gilets Jaunes » ont manifesté dans la rue. Cette succession de mouvements de protestation qui, samedi après samedi, a impacté la France, au niveau social, humain et politique de façon indéniable. Même si, depuis juillet, le mouvement s’est atténué, les fractures qui en étaient la cause sont toujours bien présentes et ancrées dans le territoire français. Il faut donc s’attaquer aux causes de la tension sociale, comme la fracture territoriale. Pour cela, nous devons faire confiance aux acteurs de terrain et à leurs initiatives locales en déployant des fonds territoriaux adaptés qu’ils pourront mobiliser pour redynamiser les centres-villes et aider ainsi les commerçants et artisans qui doivent être au cœur de ce dispositif.