Agroalimentaire : la France a toute sa place sur le marché mondial par Nicolas Forissier

Maire de La Châtre, petite ville de 5 000 habitants, pendant plus de vingt ans, Nicolas Forissier s’est particulièrement investi depuis le début de sa carrière politique sur les problématiques de la ruralité, de l’agriculture et de l'agroalimentaire en général – des thématiques dont il a eu la charge en tant que Secrétaire d’Etat puis Délégué interministériel.

Il suit de près les problématiques liées à la vie des entreprises pour en avoir dirigé plusieurs, et notamment les questions de financement et de dynamisme à l’export. Député, membre de la Commission des finances, il en est également Rapporteur spécial pour le Commerce extérieur. 

Quel est votre sentiment sur le projet de loi découlant des États Généraux de l’Alimentation, débattu en séance publique à l'Assemblée nationale à partir du 22 mai ?

L’agriculture française est à un point de rupture. Aujourd'hui un agriculteur sur trois vit avec moins de 350 euros par mois. Il faut redonner une respiration économique et financière aux exploitants, leur redonner les moyens d'exercer un métier qu'ils aiment... et qui nous nourrit. Aujourd’hui la France ne compte plus que 500 000 exploitations, soit une diminution de plus de 50% en 20 ans.

Alors oui, l’idée générale des Etats Généraux et du Projet de loi va dans le bon sens. Mais j’attends de voir la concrétisation de ces engagements. Je prends l’exemple du relèvement du seuil de revente à perte : je suis assez dubitatif. Cela va-t-il vraiment profiter aux producteurs ? En revanche, l'inversion du système de construction des prix était une mesure nécessaire, attendue, et je pèserai dans les débats pour qu'elle devienne réalité. Mais je regrette que le Gouvernement privilégie une adoption majoritairement par ordonnances : un débat public est indispensable.

Que manque-t-il au secteur agroalimentaire pour renforcer ses positions à l'international ? On l’oublie souvent mais c’est le 1er secteur industriel en France, et il emploie 430 000 personnes. C’est le 2ème dont la balance commerciale est positive (+ 7,6 milliards en 2017, Ndlr), après l’aéronautique. À côté de fleurons comme Danone ou Lactalis, 98% des entreprises sont des TPME. Il manque clairement un échelon, et c’est vrai pour l'ensemble des secteurs d’activité : la France ne possède que 5 000 Entreprises de Taille Intermédiaire (ETI), contre presque trois fois plus en Allemagne. Il est indispensable de soutenir nos industries agroalimentaires et d’encourager leur présence sur les marchés mondiaux. 

Ce qui fait peut-être le plus défaut, c'est une vision claire et un soutien massif de l’État. J'ai écouté avec intérêt les annonces du Premier ministre sur le commerce extérieur, le 23 février. Encore une fois cela va dans le bon sens ; encore une fois j'attends de voir les actes. S’emparer du sujet du Commerce extérieur est une urgence. Et il faut nommer enfin un ministre qui en ait la charge car c’est la première fois depuis 1995 que ce porte- feuille n’est pas attribué.

La France a-t-elle toujours sa place sur le marché agroalimen- taire mondial ?
Bien sûr ! Elle est la 5ème puissance exportatrice, avec 4,8% de parts de marché. En 2000, elle occupait la 2ème place après les USA... Cependant la France a toujours des points forts, comme son savoir-faire ou une qualité de production reconnus. En 2050, la terre comptera près de 10 mil- liards d’habitants et le mode de consommation des pays émergents se rapproche du nôtre. Il faut produire plus et mieux, en préservant la planète. La France dispose de réels atouts pour contribuer à relever le défi alimentaire mondial et reprendre un rôle de leader. Alors oui, plus que jamais, la France a toute sa place grâce au dynamisme de ses entreprises.

Pour finir, qu’attendez-vous de l’exécutif concernant l’agriculture ?
J'attends surtout qu’il ait une véritable vision, concrétisée par des mesures ambi- tieuses et cohérentes. J’attends de lui qu’il s'engage, que l'on en finisse avec les annonces sans lendemain. Il faut de vraies mesures, adaptées et efficaces. Cela passe par exemple par la mise en place d'une réserve de précaution pour les agriculteurs, qui aille bien plus loin que l’actuelle DPA. Elle doit être simple d'utilisation, puissante financièrement et de long terme. Je la proposerai au vote du Parlement. Comme l’a dit le Président lors de ses vœux aux agriculteurs, l'agriculture française est à la croisée des chemins : on peut soit s’engager sur la bonne voie, soit tergiverser. Et j’attends que le Gouvernement fasse de l’agriculture et de l’agroalimentaire, enfin, une priorité nationale.