Une directive européenne pour protéger les entreprises par Constance Le Grip

Le jeudi 14 avril 2016, à une large majorité, transpartisane, le Parlement européen adoptait la directive sur la protection des savoir-faire et informations commerciales non divulgués (dits « secrets d’affaires »), à un moment où se déroulait à la fois le procès « Luxleaks » et le scandale des « Panama Papers ». Élue députée les Républicains en juin 2017, Constance LE GRIP était députée européenne du groupe PPE et Rapporteure du projet de directive. La directive européenne doit maintenant faire l’objet d’une transposition dans notre droit national courant 2018.

J : Pourquoi une législation européenne en matière de « secrets d’affaires » ?

La défense de la propriété industrielle, de la propriété intellectuelle est un enjeu majeur pour nos entreprises, tant françaises qu’européennes. Sans propriété intellectuelle, il ne peut y avoir d’innovation. Or, les entreprises sont de plus en plus victimes d’espionnage économique. Les brevets, les dessins et modèles, les marques, les droits d’auteur sont autant de droits de propriété intellectuelle qui sont maintenant définis, encadrés et protégés au niveau européen. Tel n’était pas le cas des « secrets d’affaires », ces savoir-faire professionnels et informations commerciales, non divulgués, éléments clefs dont les entreprises, les chercheurs, les innovateurs, les techniciens veulent généralement préserver le caractère confidentiel, notamment dans le cadre du processus de recherche et de création. Ces « secrets d’affaires » représentent un enjeu essentiel pour la protection de l’innovation et du patrimoine immatériel de nos entreprises, et pour la défense de leur compétitivité au niveau international. Plus d’une entreprise européenne sur quatre se déclare victime d’un vol de secret d’affaires, d’après une étude diligentée en 2013 par la Commission européenne. C’est donc à un véritable pillage que nous assistons.

Bien qu’un cadre juridique international existe (les accords sur les Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce, dits « ADPIC », en vigueur depuis 1995), qui s’applique à tous les États membres de l’Union européenne, une grande disparité a longtemps prévalu entre les différentes législations nationales. Ceci conduisait inévitablement à une fragmentation du Marché Intérieur européen, et était source d’insécurité juridique pour les entreprises européennes. L’Union européenne ne pouvant être le seul espace économique où il n’y avait pas un minimum de convergence juridique et de protection uniforme, s’est ainsi imposée l’idée d’une directive européenne. L’objectif était donc double : proposer une définition commune aux États européens du « secret d’affaires », pour assurer un bon fonctionnement du Marché Intérieur européen, et garantir qu’en cas de vol ou d’acquisition (ou d’utilisation) illégale de ses savoir-faire et informations confidentiels, la victime soit en mesure de défendre ses droits devant les juridictions civiles et puisse avoir accès à des voies de recours (type dommages et intérêts par exemple) suffisants et comparables dans toute l’Union européenne.

J : La directive accorde-t-elle une protection absolue du « secret d’affaires » ?

Il est utile de rappeler que les « secrets d’affaires », comme ils sont définis dans les accords internationaux dit « ADPIC » et dans la directive, ne sont pas un nouveau droit de propriété intellectuelle. Ils ne donnent aucun droit exclusif à leur détenteur. La directive accorde en conséquence une protection du « secret d’affaires » uniquement dans les cas où ce dernier est obtenu, utilisé ou divulgué de manière illicite, sans le consentement de son détenteur. Par exemple, il est licite de faire une découverte indépendante ou d’avoir recours à l’ingénierie inversée. Le texte européen prévoit aussi des dispositions contre les recours abusifs, afin d’éviter une « sur-interprétation » de la directive et que des entreprises soit tentées de pratiquer des pressions excessives sur la confidentialité d’informations qui ne relèveraient pas des dispositions de la directive. C’est ainsi qu’aucune entreprise européenne, par exemple, ne pourra se soustraire à ses obligations de transparence et de transmission d’informations, en vertu de ce qui est requis par le droit européen ou le droit national.

J : Les débats au Parlement européen ont été longs et ont été entourés de beaucoup de bruit et de passion. On se souvient aussi de la tentative, avortée, de Jean-Jacques URVOAS, alors Président de la Commission des Lois de l’Assemblée nationale, de légiférer en la matière, et reculant devant un certain tollé médiatique. Qu’avez-vous à dire à cela ?

Des questions et des inquiétudes, certaines fort légitimes, se sont faites jour, quant aux menaces que ferait peser un tel texte sur la liberté d’expression, la liberté des médias et l’activité des « lanceurs d’alerte ». Je veux être très claire à ce sujet : au Parlement européen, la Rapporteure que je fus, accompagnée dans ce travail par les représentants de tous les groupes politiques, a fortement retravaillé le texte initial du projet de la directive, tel que présenté par la Commission européenne. Nous avons souhaité renforcer les garanties apportées à l’exercice des libertés d’information et d’expression, consacrées par la Charte européenne des Droits Fondamentaux. C’est ainsi que, dans plusieurs articles et considérants de la directive, nous avons écrit que l’exercice du droit aux libertés d’expression et d’information entraine la non-application de mesures de sanction éventuelles, excluant de ce fait clairement les journalistes du champ d’application de la directive, quand ils sont dans l’exercice de leur métier, et notamment de leurs investigations.

De même, toutes personnes, comme des « lanceurs d’alerte » par exemple, peuvent bénéficier de la même exemption, et ne sont donc pas susceptibles d’être inquiétées ou sanctionnées si elles dévoilent des « secrets d’affaires », y compris en les ayant obtenus de manière illicite, pour peu, et c’est bien sûr essentiel, que leur comportement de révélation ait été mené pour la protection de l’intérêt public.

Les journalistes et les « lanceurs d’alerte » sont donc clairement exclus de l’application de toute mesure éventuelle de sanction prévue par la directive.

C’est un équilibre juste, me semble-t-il, entre, d’une part, la préservation des libertés fondamentales que sont les libertés d’information et d’expression et, d’autre part, la protection des intérêts économiques des entreprises, qu’il nous faut tenter de mettre à l’abri de l’utilisation abusive, du vol, de l’espionnage, opérations dépassant de loin les pratiques concurrentielles déloyales, et s’apparentant à du pillage.

J : Quelles suites pour la directive européenne ?

Celle-ci doit maintenant faire l’objet de transposition dans les droits nationaux des États-membres. Je sais que le Gouvernement français y réfléchit et y travaille. Quel que soit le véhicule législatif qu’il choisira de présenter au Parlement, je ne peux, modestement, à ce stade, lui donner qu’un seul conseil : transposition de la directive, rien que la directive ! Ni plus, ni moins. L’équilibre trouvé au plan européen doit être maintenu.