Virginie Duby-Muller, la Technopole d’Archamps et l’entrepreneuriat politique par Virginie Duby-Muller

Député de Haute Savoie depuis 2012, Vice-président du Conseil départemental de Haute-Savoie chargé des affaires transfrontalières et européennes depuis 2014, Virginie Duby-Muller est également président du Syndicat Mixte d’Aménagement du Genevois (SMAG) depuis mai 2015. Cette instance politique, composée d’élus du Département et de la Communauté de Communes du Genevois, élabore la stratégie générale de la Technopole d’Archamps et en fixe les grandes orientations.

Archamps Technopole, c’est un outil d’aménagement du territoire et un outil de développement économique. Retour sur cette « aventure Technopole ».

Pourquoi avoir voulu implanter une technopole sur ce territoire, à la frontière franco-suisse, plutôt qu’ailleurs ?

En 1985, le Département de la Haute-Savoie, avec l’appui de scientifiques et d’industriels, a pris l’initiative de créer le SMAG. L’enjeu initial était de créer et de maintenir l’emploi dans cette zone transfrontalière fortement déséquilibrée par la proximité de la ville de Genève, où le marché de l’emploi, notamment dans le tertiaire, est très attractif. Archamps Technopole est donc née de la volonté des acteurs publics locaux d’amorcer un rééquilibrage de l’économie frontalière. La force des autorités publiques a été de ne pas choisir l’option la plus simple, qui aurait consisté à développer une économie résidentielle - la population transfrontalière étant passée de 400 000 en 1962 à 950 000 en 2014-, mais bien davantage de développer un pôle d’emplois qualifiés à haute valeur technologique. Sans cette ambition initiale partagée, il n’y aurait sans doute jamais eu de développement économique du Genevois.

Le choix a donc été de miser sur l’innovation et les compétences existant à Genève et alentours, pour développer des coopérations transfrontalières en nouant des liens avec des institutions de renommée internationale, la suisse romande présentant un vivier de compétences et de savoir-faire indiscutables (CERN, Universités de Genève et de Lausanne). C’est notamment ainsi qu’a pu se créer l’ESI (European Scientific Institute) qui accueille des filières d’enseignement supérieur développées avec l’expertise du CERN. Au fil du temps de véritables compétences professionnelles se sont agrégées. En tant qu’élue locale, profondément attachée à mon territoire, je souhaite continuer à miser sur la coopération transfrontalière et les projets collaboratifs, pour mutualiser les compétences. Et aujourd’hui, c’est plutôt réussi !

On comprend cette volonté locale de se doter d’ « outils » économiques pour les territoires ; quels résultats aujourd’hui, quel bilan ?

Aujourd’hui, Archamps Technopole c’est plus de 1 700 salariés au sein de 220 sociétés et organismes divers, parmi lesquels un fournisseur de rang 1 d’Airbus (Meggitt Sensorex). Par sa situation géographique, à 40 km d’Annecy et à 15 minutes de l’aéroport international de Genève, au carrefour des autoroutes A40 (Lyon-Turin) et A41 (Grenoble-Genève), la Technopole bénéficie d’un accès facilité aux marchés Rhône-Alpin, Genevois et Suisse, et plus largement européen. Implanté au cœur d’un environnement privilégié, au pied du Mont Salève, le site d’Archamps Technopole qui couvre actuellement 40 ha(135 000 m² de surfaces construites), s’étendra prochainement sur 18 ha supplémentaires. C’est grâce à une offre immobilière diversifiée et de qualité, et des services le plus en adéquation possible avec les besoins des entreprises, que la Technopole a connu un tel développement. Si la dimension économique ne peut se résumer à la dimension immobilière, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit, à l’évidence, d’un préalable indispensable.

On peut véritablement parler aujourd’hui d’une « success story » pour la Technopole, notamment en ce qui concerne l’innovation, sur laquelle nous avons choisi de miser en créant un « pôle R&D » attractif et reconnu (label RETIS). Nous avons en effet contribué au développement de deux plateformes technologiques qui ont permis d’attirer des compétences fortes et rares.

C’est tout d’abord la Plateforme Biopark d’Archamps (PBA) qui est devenue l’outil emblématique de la Technopole, concrétisant ainsi l’ambition des acteurs institutionnels de développer, en zone frontalière, un pôle exemplaire dans les domaines des sciences du vivant et des biotechnologies. Dotée d’une part de matériel de haute technologie (spectromètres de masse et chromatographie liquide à haute performance), d’autre part de compétences académiques reconnues, elle constitue un vivier de savoir-faire, essentiel au développement économique du territoire. De plus, l‘association PBA dispose d’un agrément et d’une éligibilité au crédit d’impôt recherche, ce qui constitue un atout non seulement pour les entreprises usagères des services fournis, mais également pour l’association elle-même dans le cadre de ses propres activités de recherche. La plateforme BioPark d’Archamps représente sans doute un des modèles d’avenir.

C’est ensuite MIND, plateforme technologique de soutien à l’innovation, dans les secteurs de la mécatronique, la plastronique et la « woodtronique ». Elle accompagne les entreprises pour développer et mettre au point de nouveaux applicatifs dans ces domaines, à partir de briques technologiques issues de la recherche publique. Ces deux entités ont noué des liens étroits avec leur région d’implantation. Je citerai notamment les collaborations de MIND avec le Pôle de compétitivité Mont Blanc Industries et l’Université Savoie Mont Blanc ainsi que celles de Biopark avec l’Université Grenoble-Alpes. Les deux plateformes intègrent également une forte vocation transfrontalière franco-suisse.

Le bilan semble en effet être positif ; avez-vous de nouveaux projets ? La Technopole, comme de nombreux cluster et entreprises françaises, n’est-elle pas confrontée à de nouveaux défis ? Quid de l’évolution des activités et des marchés ?

De grands chantiers sont programmés pour 2016. C’est tout d’abord un territoire qui s’agrandit avec prochainement l’aménagement et la commercialisation de 18 hectares supplémentaires, avec d’ores et déjà des projets en attente. C’est ensuite un nouveau Centre de convention repensé et réaménagé de façon à répondre aux besoins des entreprises avec des outils technologiques multimédia modernes. Son orientation vers le tourisme d’affaires devient une priorité pour les acteurs de la Technopole. Cet équipement, grâce à son adaptation aux marchés et aux clientèles, doit trouver un positionnement stratégique le plus pertinent qui soit ; nous travaillons sur ce point. C’est ensuite le renforcement des deux plateformes technologiques qui seront prochainement regroupées sur un site unique entièrement rénové.

Pour l’avenir, il est important de doter les plateformes d’instruments technologiques de dernière génération, offrant des possibilités de recherche et de services nouveaux ou complémentaires à ceux existants. L’inscription au Contrat de Plan Etat-Région du projet « TRANS.IN.TECH » (Transfert, Innovation et Technologies) témoigne de la reconnaissance de nos partenaires, que sont l’Etat, la Région et le Département, du potentiel de la Technopole. Ce sont en effet 5 millions d’euros qui seront consacrés aux deux plateformes et à l’ESI pour leur permettre un développement optimal.

Pour le politique, intervenir dans le domaine privé et entrepreneurial n’est pas toujours une évidence ; quel a été le positionnement choisi par les élus pour cette Technopole ? Quel est votre rôle en tant qu’élue, en tant que personnalité politique, face à ce climat parfois hostile au développement des entreprises ?

Archamps Technopole a été créée par les acteurs publics locaux : le Département de la Haute Savoie et la Communauté des Communes du Genevois. L’objectif était d’opérer un rééquilibrage des activités sur cet espace frontalier, à savoir l’augmentation de l’offre de logements pour la Suisse et la création d’emplois pour la France.

Notre rôle en tant qu’élu est bien d’assurer à nos territoires les moyens de se développer en créant de l’emploi. C’est leur survie qui en dépend. L’action publique trouve toute sa légitimité dans ce développement économique. Beaucoup d’entreprises de la Technopole sont de très petites entreprises, voire des start-ups. Bon nombre d’entre elles œuvrent dans la biotechnologie et on sait qu’en matière de santé et de médecine personnalisée, les projets de recherche et le développement de médicaments portent sur des durées importantes (10 à 15 ans) ; le retour sur investissement est donc très long. Actuellement, les industriels recherchent une rentabilité à court terme et l’innovation thérapeutique ne semble plus représenter la pierre angulaire des grosses entreprises pharmaceutiques. Entre la pharmacologie et la recherche académique se positionnent les biotechnologies qui peuvent rentrer dans les premières phases de développement des médicaments, avant d’intégrer les Big Pharma. Il est donc important d’associer recherche & développement et entreprises, d’écouter les entrepreneurs, d’entendre leurs besoins et de les accompagner en leur assurant une visibilité à 3 ou 5 ans. Nous ne pouvons rester les bras croisés face aux difficultés que connaissent les entreprises qui s’efforcent de créer de l’activité malgré des dispositifs de plus en plus lourds et de plus en plus contraignants.

Par ailleurs, force est de constater que la diminution des ressources et les contraintes budgétaires qui s’imposent aux collectivités impliquent une gestion plus stricte du modèle. Il s’agit de pouvoir assurer la mise en œuvre de projets d’envergure, tout en intégrant la réalité d’un quotidien qui impose rigueur et pragmatisme. Aujourd’hui, j’essaye de parler de rationalisation de l’existant, pour rendre le modèle de fonctionnement de cette « grosse entreprise » plus efficace et plus efficient. L’important, c’est que la Technopole continue à être un outil dynamique au service du développement économique. Toutes les forces vives du territoire doivent être mobilisées au service d’un tissu entrepreneurial qui, s’il est fertile, porte en lui les gênes et la promesse d’un avenir meilleur pour les générations futures.

 

Justement, vous parlez de la rareté des ressources, en quoi la réforme territoriale engagée par le gouvernement risque telle d’impacter la Technopole ? 

 

L’adoption de la Loi NOTRe crée des incertitudes en raison notamment de l’abandon de la clause de compétence générale dont bénéficiaient jusqu’alors les départements. C’est grâce à cette compétence que la Technopole a pu voir le jour. C’est donc notre travail d’être attentif aux incidences de cette réforme sur le fonctionnement et les budgets des collectivités.

 

A ce titre, le Département de la Haute Savoie a engagé une démarche prospective sur les impacts de la loi NOTRe afin de mettre en place une organisation adaptée. A cette problématique s’ajoutent les contraintes budgétaires qui s’imposent aux collectivités, avec notamment la réduction des dotations étatiques. Pour toutes ces raisons, nous devons avoir une vraie vision stratégique. Dans l’attente de l’issue des négociations qui s’engagent entre le Département et la Région, le SMAG continuera d’assumer ses responsabilités et entretiendra un dialogue permanent avec ses partenaires. Je veillerai particulièrement à garantir l’avenir de la Technopole auprès de tous les acteurs impliqués.