L’économie agricole, la grande oubliée du choc de simplification ? par Sophie Primas

Sophie PRIMAS, Sénateur des Yvelines, fait part de la nécessité d’engager une réflexion sur le processus d’élaboration des normes imposées au monde agricole, afin de dynamiser la compétitivité de ce secteur central de notre économie. Elle propose notamment de remettre la confiance et la responsabilité au cœur des relations entre l’Etat et les exploitants agricoles.

Au cours des derniers mois, les crises se sont multipliées dans les secteurs agricole et agroalimentaire, allant de pair avec une crispation grandissante de la profession … Pourquoi et commentces évènements, parfois violents, prennent-ils en partie leur source ?

 

Ces évènements sont bien sûr, avant tout, l’expression d’une crise de compétitivité de notre agriculture. Les difficultés des abattoirs finistériens de la société GAD sont symptomatiques de cette situation : le manque de compétitivité des activités agricoles a engendré un affaiblissement de la production, lequel a impacté l’ensemble de la filière agroalimentaire locale entraînant également dans son sillage des sous-traitants. Les causes de ces crises sont multiples. Il faut bien sûr mentionner la question centrale du coût du travail dans le secteur agricole, qui pénalise les performances de la Ferme France sur tous les marchés, y compris au sein même de l’espace intra-communautaire. Ainsi, pour la filière fruits et légumes, le coût du travail s’élève à douze euros par heure travaillée en France contre six euros par heure en Allemagne et six euros par jour au Maroc !

 

Le second facteur déterminant est effectivement l’empilement des normes. La multiplication des contraintes administratives bride naturellement la croissance de ce secteur et l’expose à la concurrence de nos partenaires économiques. Tandis que lacréation d’une unité de biogaz nécessite huit-dix mois en Allemagne, elle exige entre trois et quatre années de démarches administratives en France. Les exemples decomplexités, inutiles, redondantes ou incomprises, sont pléthores et recouvrent l’ensemble du champ des activités agricoles. A chaque étape, les exploitants sont soumis à des contrôles sur la base de sous- règlementsparfois contradictoires, quelque fois même laissant lieu à interprétation. Leur application s’avère complexe et souventlocalement inappropriée.

Enfin, au-delà des conséquences économiques, cette complexité suscite une véritable exaspération pour une profession, qui a fait ces dernières années d’importants efforts et à qui l’on demande « toujours plus ». Le calcul du revenu même des exploitants est infiniment complexe au regard des éléments de conditionnalité du versement des aides, rendant ainsi l’exercice du métier incertain et anxiogène. Un état d’esprit qui se traduit d’ailleurs dramatiquement avec le suicide d’un agriculteur tous les deux jours.

 

Les réponses proposées par le Gouvernement sont-elles à la hauteur de l’enjeu ?

La volonté de mettre en place des mesures de simplification va dans le bon sens, pour d’ailleurs l’ensemble du monde économique. Toutefois, ces mesures ne sont, aujourd’hui, que des propositions. Celles concernant plus spécifiquement le monde agricole sont bien trop maigres. Nous pouvons à ce titre regretter qu’aucun représentant de la profession agricole n’ait fait l’objet d’une audition dans le cadre la Mission parlementaire de simplification de l’environnement réglementaire et fiscal des entreprises. 

De plus, le Projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt actuellement examinée au Parlement passe complètement à côté de l’objectif de simplification et de clarification du droit applicable. Trop peu de dispositions vont dans ce sens et certaines d’entre elles complexifient même le quotidien des exploitants, à l’image de la mise en place des déclarations annuelles relatives aux quantités d’azote utilisées. Cette loi aurait dû être, au contraire, l’occasion d’améliorer, dans un esprit transpartisan, la lisibilité d’un code rural qui compte aujourd’hui près de 3000 pages !     

 

Quelles seraient les solutions envisageables, notamment en ce qui concerne la multiplication des normes environnementales, édictées au niveau européen ?

La question des normes environnementales est naturellement au cœur de la problématique. Sur le fond, tout d’abord, il est essentiel de garantir un équilibre entre les enjeux environnementaux et la nécessité de production agricole. Mais, ces normes ne peuvent jouer contre la production. La productivité doit être assurée pour une agriculture dont le rendement mondial devra s’accroitre peu ou prou de 70% afin de parvenir à nourrir les neuf milliards d’êtres humains qui peupleront la planète en 2050. La protection de l’environnement constitue un intérêt évident pour les exploitants, tant cette exigence de qualité globale de la production et du produit apparait progressivement comme une plus-value financière sur les marchés.

Afin de parvenir à cet équilibre nécessaire, il faut dès à présent, mettre fin à une certaine surenchère réglementaire. Celle-ci nous mène à transcrire des directives européennes avec plus de fermeté que dans les autres pays, comme cela a pu être le cas en ce qui concerne l’élevage porcin. La clé de la compétitivité pour notre pays, et à terme pour notre continent, est sans nul doute l’harmonisation européenne. C’est à partir d’un socle normatif commun, puis fiscal et social, que les exploitants européens se détourneront d’une concurrence intracommunautaire pour partir, ensemble, à la conquête des marchés internationaux. 

 

Afin de s’engager sur la voie de l’harmonisation européenne, quelles seraient les préconisations à mettre en œuvre dès aujourd’hui ? 

 

Un socle commun sous-tend naturellement l’existence d’une stabilité du stock de normes, qui est actuellement loin d’être acquise, au regard de l’empilement annuel des réglementations. Il faut engager une action visant à  moins et mieux réglementer.

La norme doit pouvoir s’adapter aux différentes situations et conditions de productions. Il ne s’agit pas d’imposer une règle, presque aveuglément, pour l’ensemble d’un secteur qui dispose d’une grande diversité. Il est ainsi aberrant de constater que les normes relatives aux abattoirs de volaille par exemple sont identiques en ce qui concerne l’abattage industriel et celui exercé en en « circuits courts ».  L’application uniforme des normes arrive ainsi à être en totale contradiction avec la volonté politique. Ces règles ont trop souvent tendance à être édictées avec une insuffisante prise en compte du terrain. Il conviendrait de revenir sur ce procédé, en proposant d’évaluer systématiquement les normes existantes avant d’en produire de nouvelles.

Parallèlement, un plus grand pragmatisme dans l’application du règlement passerait concrètement par un meilleur dialogue entre les Administrations, notamment celles du Ministère de l’Agriculture et de l’Environnement.

Nous constatons actuellement une véritable défiance des agriculteurs à l’égard de l’Etat. Ce dernier, au travers des normes et contrôles liés, semble les infantiliser, les suspecter et les inspecter en permanence. Alors que les crises se multiplient, il est plus que jamais impératif de reverser cette logique, en re-tissant le lien de confiance qui a longtemps prévalu entre le monde agricole, les Français et l’Etat.

Dans ce nouveau contexte, la norme prendrait d’avantage la forme d’un ensemble d’objectifs et de moyens, laissant à l’agriculteur une certaine liberté d’application. Une forme de pacte de responsabilisation en quelque sorte ! Assorti d’une logique de résultats économiques et environnementaux. Nous pouvons être assurés que cette confiance et cette responsabilisation retrouvées permettraient d’obtenir de bien meilleurs résultats, y compris en termes de réalisation des objectifs environnementaux. L’agriculteur, ne connait-il pas mieux que personne, le territoire qu’il exploite ? N’a-t-il pas lui-même intérêt à l’amélioration de la valeur ajoutée de sa production ? N’a-t-il pas lui-même conscience de l’intérêt de la durabilité agricole de son territoire ?

Responsabilisation sur les résultats, y compris environnementauxet flexibilité sur les moyens : telles pourraient être les bases d’un renouveau de notre système normatif.