L’intelligence de la main par Claudine Schmid

Le Président de la République a encore évoqué l’apprentissage dans un entretien donné le 20 août 2014 à un grand quotidien. Alors que l’annonce des mesures concrètes se fait attendre, Claudine Schmid, député des Français de l’étranger, compare notre système avec l’apprentissage helvétique, moins connu que celui en Allemagne.

 

 

 

 

 

 

En Suisse, 70% de jeunes décident à la fin de l’école obligatoire d’effectuer un apprentissage. Comment peut-on expliquer cet engouement ?

En Suisse, l’apprentissage est considéré comme la porte d’entrée dans la vie professionnelle et non une « voie de garage ». En 2012, 80% des personnes sondées estimaient que les perspectives professionnelles étaient égales ou meilleures à celles d’une formation générale. Il en ressort que cette formation bénéficie à toutes lesparties. Pour les jeunes, elle contribue à leur prise de responsabilité, non seulement au niveau professionnel mais aussi personnel, familial ou sociétal. Les entreprises en tirent aussi un bénéfice par l’apport d’idées pionnières et l’esprit innovant insufflé par les jeunes. De surcroît elles préparent leurs futurs spécialistes et cadres. De plus une étude[1] montre que les entreprises qui investissent dans le capital humain de l’apprenti dégagent déjà un bénéfice net au cours de la période d’apprentissage. Pour l’État, l’apprentissage représente une économie car c’est l’entreprise qui investit.

N’est-ce pas une difficulté pour un jeune de s’orienter professionnellement dès l’adolescence?

Une orientation professionnelle n’est en aucun cas irréversible. Au contraire, et de plus en plus de nos jours, les expériences constituent un atout à faire valoir. En outre, l’apprentissage permet une réorientation plus rapide, et ce sans avoir investi plusieurs années d’études aux coûts élevés. Les carrières professionnelles évoluent par le truchement des formations complémentaires.

Un apprenti peut poursuivre ses études par une maturité professionnelle ou le diplôme d’une Haute école spécialisée. Quelles sont les autres passerelles possibles ?

L’esprit qui prévaut est l’acquisition de compétences nécessaires à la réussite professionnelle et non la possession absolue d’un diplôme. C’est une des raisons pour laquelle dès la fin de son apprentissage le jeune privilégie l’entrée immédiate dans le monde du travail. Ensuite, il suit la formation adéquate à son perfectionnement et à son plan de carrière. En fonction, il élargit ses compétences en effectuant un apprentissage complémentaire dans un métier voisin de l’actuel, par exemple assistant en podologie et orthopédiste, ou suit des compléments de formation. À titre d’exemple, un apprenti peut, en parallèle ou a posteriori, approfondir ses études via une maturité professionnelle (bac pro) qui lui donnera l’accès à l’université, voire aux écoles polytechniques fédérales, au même titre que le maturant fédéral (bachelier). Les conditions d’âge pour débuter une formation étant de moins en moins rédhibitoires et les conditions de formation de plus en plus souples, les passerelles que constituent les 30'000 offres de formation sont infinies. Par cette multitude de passerelles les Suisses ont compris qu’ils pouvaient bénéficier de l’ «intelligence de la main» et ont établi une collaboration fructueuse entre l’administration et les entreprises. On pouvait lire dans l’édition du 23 août 2014 du Nouvelliste, les remerciements adressés en pleine page par le canton du Valais aux entreprises qui avaient formé les nouveaux diplômés.

Vous évoquez l’ « intelligence de la main ». Quels sont les domaines forts de l’apprentissage ?

Cette expression ne doit pas être comprise au sens premier puisque 80% des places sont offertes dans les métiers de prestation de services. Tous les domaines d’activité sont donc concernés. Les apprentis se recrutent aussi bien dans les domaines du commerce au sens large tels que de la banque ou de l’assurance, que ceux des voyages, de l’informatique ou de la santé, que dans tous les domaines manuels.  

N’y a-t-il pas cependant un « plafond de verre » ? Certains anciens apprentis connaissent-ils la notoriété ?

Grâce au système flexible de la Suisse, même sans être célèbres, de nombreux chefs d’entreprises sont issus des rangs des apprentis. Je citerai deux personnalités connues des Français : Ueli Maurer, conseiller fédéral depuis 2009 et président de la Confédération en 2013 et Daniel Rossellat, initiateur et directeur du Paleo Festival de Nyon, l’un des évènements musicaux majeurs en Europe. Les responsables entrepreneurials ou politiques sont, par leur vécu, les meilleurs ambassadeurs de l’apprentissage. Ils sont bien conscients du dynamisme et de la créativité que les anciens apprentis peuvent apporter à l’économie. La Suisse est loin du stéréotype des responsables politiques et des grandes entreprises issus des mêmes écoles et formés à la même pensée. Cependant, aujourd’hui, les métiers se complexifient si rapidement que seule la formation continue permet de progresser quel que soit le diplôme de départ.

Pensez-vous que l’apprentissage soit vraiment un moyen de lutter contre le chômage des jeunes?

Seulement 17% des jeunes Français jugent l’avenir de leur pays prometteur. C’est consternant. Selon les données du BIT[2], le taux de chômage des jeunes de 15-24 ans était, au 1er trimestre 2014, de 6,5% pour les Suisses alors qu’en France métropolitaine il se montait à 22,9%. Il indique bien que cette filière, partie centrale du modèle de formation, prépare à l’insertion professionnelle. Les parents doivent aussi prendre conscience que le baccalauréat général n’est pas le seul sésame. Les mentalités doivent évoluer pour donner à l’apprentissage ses lettres de noblesse. Lors d’une interview radiophonique, le 29 août 2014, Pascal Lamy[3] a d’ailleurs proposé de s’inspirer du modèle suisse afin de lutter contre le chômage des jeunes.

En Suisse les écoles d’apprentissage sont financées par l’État et les cantons alors que les entreprises sont partie prenante dans l’établissement du contenu de l’enseignement. Est-ce que ce modèle pourrait aussi fonctionner en France ?

La volonté du gouvernement de développer l’apprentissage doit être l’occasion de mettre en place une nouvelle gouvernance de cet enseignement. Il faut que l’État se mette au service des entreprises, s’adapte avec rapidité pour former aux nouveaux métiers et technologies. Il ne suffit pas que le Premier ministre promette 200 millions d’euros pour 2015 pour créer des places d’apprentissage et en changer l’image.

En quoi l’expérience de la Suisse pourrait-elle nous inspirer ?

L’État met à la disposition des entreprises un système d’enseignement performant et valorisé par les enseignants, les parents, la société et il prend les mesures adéquates. Devant le nombre de places offertes et non pourvues, la Confédération a validé fin août 2014 un train de mesures pour soutenir financièrement les candidats aux examens des écoles professionnelles et faciliter les passerelles vers les hautes écoles. En répondant aux besoins de l’économie, quitte à laisser les employeurs décider directement d’une partie du contenu académique, il s’assure des talents utiles à sa croissance.

L’État ne prélève aucune taxe d’apprentissage et ne verse aucune aide aux entreprises. Les employeurs considèrent la formation d’un apprenti comme une obligation morale. Ce sont d’ailleurs les PME qui forment les ¾ des apprentis.

 

[1] Mirjam Strupler et Stefan C. Wolter : Die duale Lehre : eine Erfolgsgeschichte – auch für die Betriebe / Rüegger Verlag

[2] Le Bureau international du Travail est le secrétariat permanent de l'Organisation internationale du Travail.

[3] Pascal Lamy, est un homme politique français. Il fut directeur général de l'Organisation mondiale du commerce du 1ᵉʳ septembre 2005 au 31 août 2013.